La volonté gouvernementale de poursuivre le moratoire engagé à plusieurs reprises contre la mise en culture de semences de maïs génétiquement modifié, notamment Monsanto 810, ne fait plus aucun doute. En témoigne le nouvel arrêté du ministre de l’Agriculture en date du 14 mars 2014. Cependant, le fait que le recours en référé effectué contre cet arrêté par l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et quelques société productrices ait été rejeté par le Conseil d’Etat le 5 mai 2014 ne signifie pas, pour l’apiculture et pour la production agricole hors OGM en général, que la partie ait, pour autant, été définitivement gagnée.
Trois démarches juridiques sont actuellement engagées, dont l’issue demeure encore inconnue. Examinons- les.
La première se joue devant le Conseil d’Etat. L’ordonnance du 5 mai 2014 ne fait que rejeter la demande de suspension de l’arrêté du 14 mars 2014 faite en référé. Elle laisse entière la question du maintien ou de l’annulation dudit arrêté lorsqu’il sera, ultérieurement, jugé au fond. Or, le juge, pour le moment, a rejeté la demande des requérants en considérant simplement que la condition de l’urgence, essentielle en matière de référé, n’était pas établie. Reste l’essentiel, c’est à dire la question de savoir si, sur le fond, le maintien de l’arrêté serait de nature à « porter une atteinte grave et immédiate à un intérêt public économique ». A ce stade, le juge estime que « il n’apparaît pas, en l’état actuel de l’instruction, compte tenu notamment de la faible part des cultures de maïs génétiquement modifié, que l’exécution de l’arrêté soit de nature à porter une atteinte grave et immédiate à un intérêt public économique ». Aussi après une instruction complète de l’affaire, le Conseil d’Etat parviendra-t-il à la même constatation et confirmera-t-il la légalité de l’arrêté attaqué ? Il est permis de penser que la solution dépendra de l’importance que le Conseil d’Etat accordera aux avis de l’AESA1 et aux études scientifiques que le ministre estime nouvelles et qui, selon ce dernier, montrent que le maïs Monsanto 810 est susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement. Elle dépendra également d’un éventuel avis du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) dont la consultation est prévue par la loi du 25 juin 2008 qui transpose les directives européennes relatives aux OGM. Or, à ce jour, le HCB ne paraît pas avoir été saisi préalablement à l’édiction de l’arrêté contesté…
La seconde démarche juridique entreprise n’est plus réglementaire mais législative. Conscients de la fragilité de l’acte purement administratif et des risques de son annulation, des parlementaires ont élaboré une proposition de loi tendant à interdire la culture des maïs transgéniques (Monsanto 810 et autres, notamment TC 1507). Cette proposition a été définitivement adoptée par les deux assemblées le 5 mai 2014. L’adoption de cette loi rendra donc sans effet une éventuelle annulation de l’arrêté du 14 mars 2014 et c’est la raison pour laquelle d’autres parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel au motif, notamment, que la loi française ne respecterait pas le droit communautaire. Il reviendra donc au Conseil constitutionnel de se pencher sur cette loi anti-OGM en examinant, d’une part, si les maïs OGM font peser un risque grave pour la santé ou l’environnement, et d’autre part, si un tel risque est suffisant au regard du droit communautaire actuel pour qu’un Etat s’affranchisse d’une éventuelle autorisation communautaire donnée à cet OGM.
Nous en arrivons ainsi à la troisième étape du conflit qui se joue, elle, exclusivement au niveau européen. La réglementation européenne découle aujourd’hui de la directive du 12 mars 2001. La procédure actuelle permet la délivrance pour les Etats de l’Union européenne d’une autorisation d’OGM pour dix ans, renouvelable. Mais une clause de sauvegarde autorise ces Etats à limiter ou interdire, à titre provisoire, l’utilisation et/ou la vente de cet OGM sur leur territoire lorsqu’un Etat a des raisons précises de considérer que cet OGM présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement. Tout dépend donc actuellement des conditions d’évaluation de ce risque et des conclusions auxquelles peut parvenir l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), conclusions qui ne rejoignent pas nécessairement les résultats des différentes études scientifiques nationales… Une proposition de modification de la directive OGM permettrait, si elle aboutit, aux Etats membres d’invoquer d’autres motifs (que l’atteinte à la santé publique ou à l’environnement) à l’appui de leurs mesures de limitation ou d’interdiction des OGM sur leur territoire. Cependant, compte tenu de la diversité des points de vue existants actuellement sur les effets des OGM, il n’est pas certain qu’une telle modification règle définitivement le problème.
Seule, à notre avis, une application effective du principe de précaution, proclamé tant au niveau communautaire que national mais rarement mis en oeuvre, permettrait de faire sagement face aux oppositions et/ou incertitudes scientifiques actuelles. Et de tourner cette page dangereuse pour l’agriculture respectueuse de l’environnement et tout particulièrement l’apiculture.
Jean-Philippe COLSON
Professeur de droit retraité et jeune apiculteur