Le combat des reines pour l’usurpation des nids est désormais bien connu mais peu de documentation décrit et quantifie ce phénomène naturel chez le Frelon Asiatique (FA), Vespa velutina nigrithorax, qui n’a pas l’exclusivité en la matière (phénomène constaté chez des guêpes et d’autres espèces de frelons). Certains entomologistes ont également évoqué que ce combat des reines permet de limiter leur nombre dans le milieu
et qu’il était donc inutile de piéger les reines au printemps car ceci favoriserait les plus « fortes » (MONCEAU et al, 2012 ; ROME et al, 2013). Cette dernière affirmation mérite qu’on s’y attarde, et je vous propose de découvrir plus en détail cette phase cruciale du cycle annuel du FA, afin de vous faire une idée plus précise de l’utilité ou non du piégeage de printemps que je recommande dès lors que l’on dispose d’un dispositif sélectif, bien entendu.

Les expérimentations entreprises pour cette étude avaient pour objectif de suivre avec autant d’attention et de précision possible, les étapes qui émaillent la vie d’une reine à partir de la sortie d’hibernation jusqu’au moment où la dernière occupante du nid devienne la fondatrice et délocalise la colonie du nid primaire vers le nid secondaire. Les premières expérimentations ont commencé en 2017, peu après la mise au point du premier
prototype de BCPA. Le site d’étude principal était au rucher de mon domicile dans le Finistère, afin de faciliter les observations et en assurer une fréquence suffi sante. Situé en contexte boisé rivulaire, le rucher est un lieu particulièrement propice à la nidification du FA. Par ailleurs, 3 autres expérimentations ont permis de collecter de façon rigoureuse et fi able le nombre de reines mortes sous le nid dans les communes alentours.

Pour suivre ces reines, il fallait tout d’abord attendre patiemment à la sortie de l’hiver qu’une jeune reine décide d’installer son nid primaire dans l’environnement de mon site d’étude.
Comme chaque année, un nid s’est installé dans l’abri où est stocké le matériel d’apiculture. En 2017, sous le nid construit sur une traverse en aluminium du plafond de l’abri, fut disposé un collecteur afin de réceptionner toute reine ayant perdu le combat d’usurpation. J’ai immédiatement procédé au marquage couleur de la reine attitrée, en rouge. Grâce à ce marquage, il fut aisé de savoir quelle reine avait remporté la bataille de l’usurpation lorsqu’une reine était « au tapis ». Chaque nouvelle reine était ensuite marquée à son tour, de rouge ou de jaune.

Cette expérimentation m’a tout d’abord permis de confirmer des observations personnelles déjà effectuées lors de neutralisations écologiques de nids sur les distances généralement constatées entre nid primaire et secondaire. Dans le premier cas, 15m à l’horizontal séparaient le nid primaire du nid secondaire, ce qui est proche de la moyenne des 7 autres observations qui m’ont permis d’établir une distance au sol s’étalant de 0 à 50m.

Par ailleurs, en 2020, deux nids primaires ont été construits au sein du rucher : le premier dans l’abri apicole et le second dans une ruche sèche et vide d’abeilles. Distants de moins de 40m, la présence de ces deux nids montre que plusieurs nids primaires peuvent se développer dans un environnement très proche pour peu que la ressource en nourriture potentielle et en eau soit bien présente. J’ai immédiatement procédé
au marquage couleur de ces 2 reines afin de pouvoir les identifier aisément. À titre de documentation du suivi de l’évolution des nids, chaque étape de cette expérimentation fut filmée et photographiée à de multiples reprises. Des séquences vidéo de ces deux nids suivis sont présentes sur la chaine Youtube « Frelon asiatique, lutte écologique ».

L’usurpation du nid primaire
Concernant l’usurpation, ce que j’ai pu constater à partir de 2017 et les années suivantes sur des communes différentes (7 nids primaires), c’est qu’à chaque reprise lorsque les ouvrières n’ont pas encore éclos, c’est systématiquement (5 cas sur 5) la reine attitrée (marquée) que je retrouvais morte au petit matin.
Il est probable que lorsque la reine attitrée rentre au nid de butinage, elle est lourde par son abdomen chargé d’oeufs en préparation et affaiblie par les dépenses énergétiques induites par sa quête de proies pour nourrir ses larves et/ou de matériau de construction. Elle n’est alors plus à la hauteur pour lutter contre cette intruse qui l’attend patiemment au nid. En revanche, lorsque le nid est occupé par 4 ou 5 ouvrières, la fondatrice sort de moins en moins jusqu’à ne plus quitter le nid (jusqu’à la migration vers le nid secondaire qu’elle ne quittera plus jamais) et se consacre alors au rôle de pondeuse et de mère. C’est le moment où nous allons la qualifier de fondatrice et où elle sera définitivement protégée par ses ouvrières (même si elle n’en est pas forcément la mère biologique) qui défendront le nid de tout danger, qu’il s’agisse d’un intrus ou une tentative d’usurpation
par une reine en quête du nid (voir vidéo par ailleurs).
Et c’est ainsi que de jeunes reines fécondées circulent dans l’environnement jusqu’à la mi-juin (en Bretagne) sans avoir de nid et qui ne sont finalement que de potentielles voleuses de nids en recherche d’opportunités.

Sur la vidéo mise en ligne sur le site de L’Abeille de France et du SNA qui illustre une partie du phénomène, la fondatrice marquée rouge, bien protégée par ses ouvrières, ne sortira pas du nid durant la tentative d’usurpation par la reine concurrente que je venais de capturer sur le nid au moyen d’un tube de marquage (et relâchée à l’extérieur de l’abri pour y revenir aussitôt) et de colorer en jaune. Lors de cette séquence, on y
observe le harcèlement de la reine tentant d’usurper le nid par les ouvrières qui se terminera par sa mort et sera retrouvée déchiquetée le lendemain matin au sol.

 

Cette expérience s’est faite dans deux contextes très différents.
Tout d’abord dans le secteur du rucher, une pression de capture active avec un BCP a été mise en place à proximité du site et les reines en alimentation étaient éliminées systématiquement.
Seules les reines marquées en jaune ou rouge (observées à de nombreuses reprises dans le BCP) étaient épargnées afin de ne pas nuire à l’expérimentation. Ainsi, sur les 4 nids primaires suivis, seuls 3 cas d’usurpation ont été notés, alors que le site est particulièrement attrayant pour l’espèce et que 3 nids (sur le même emplacement en 4 années) étaient particulièrement exposés à la compétition entre reines.
Il est important de préciser qu’un piégeage passif et sélectif aurait probablement été plus efficace car la surveillance active réalisée pour cette expérience ne peut être permanente. Il est donc probable qu’aucun nid ne se serait installé dans l’environnement avec un piégeage du type MAS, puisqu’aucun autre nid que celui suivi ne s’est installé dans le secteur du rucher.

Sur les autres sites alentours, aucune pression de capture connue n’a été réalisée. Le plus grand nombre de reines mortes suite à des cas d’usurpation sur un nid a été constaté lors de la neutralisation écologique d’un nid de FA dans un grand nichoir à mésanges très exposé à la concurrence à Landivisiau (29). Il a été aisé de comptabiliser le nombre de reines toutes présentes au fond du nichoir. Nous y avons trouvé 11 reines plus la fondatrice, soit 12 reines pour ce seul nid. Une autre observation sur Plouvorn (29) nous a permis d’en comptabiliser 10. À l’inverse, un nid primaire bien à l’abri dans un cabanon de jardin avec accès peu aisé a été suivi sur
plusieurs semaines à nouveau à Landivisiau et n’a pas permis de constater le moindre cas de tentative d’usurpation, aucune reine n’ayant été trouvée dans le collecteur placé sous le nid.
Ce dernier cas appuie la possibilité que l’exposition et l’accès du nid semblent avoir une grande importance sur la probabilité qu’une reine se fasse usurper son nid primaire.

Il est possible de faire un parallèle entre ces deux contextes d’étude : dans un cas, un environnement disposant d’un piégeage actif engendre une très faible compétition sur les nids primaires (< 1 cas d’usurpation en moyenne) ; et dans l’autre cas, un environnement sans piégeage où les nids exposés sont soumis à une intense compétition (10 cas d’usurpation en moyenne).

 

Intérêt du piégeage printanier
Étant donné le constat précédent, il est important de se poser la question de l’intérêt du piégeage printanier. Il est tout-à-fait évident que la capture d’une reine au printemps ne correspond pas à la prévention de l’installation d’un nid. Toutefois, si les résultats de notre expérimentation devaient pouvoir être interpolés, un nid pourrait être évité pour une dizaine de reines capturées, voire moins. De plus, il est reconnu en écologie qu’une forte compétition au sein d’une population tend à privilégier la survie des individus les plus forts, plus prompts à défendre leur ressource ou leur lieu de reproduction. En plus de réduire la probabilité de la mise en place d’un nid dans un environnement, un système de piégeage sélectif permet de réduire a minima la compétition et éventuellement de permettre à des individus moins compétitifs (et potentiellement plus faibles) de s’installer. Sur le long terme, il ne semble pas y avoir d’inconvénient à se préserver des individus considérés parfois comme « les plus forts » ou les mieux adaptés !

Nous persistons donc à maintenir l’idée qu’un piégeage coordonné et strictement sélectif a des effets bénéfiques pour réguler le développement des colonies de FA émergentes au printemps, et ainsi protéger activement les ruchers et la biodiversité plus généralement. Enfin, même si dans certains cas les dispositifs de piégeage ne permettaient pas d’éliminer toutes les reines émergentes au printemps, la réduction de la compétition ne peut pas être un mal, mais permettrait au contraire de rendre l’espèce plus vulnérable.

Cette expérience ne prétend pas être une étude scientifique poussée, notamment en raison du faible échantillonnage des nids suivis. Toutefois, ces observations empiriques se veulent être un argument au développement d’études et d’expérimentations de terrain pour améliorer nos connaissances sur cet insecte terriblement efficace pour la prédation de nos abeilles.
Ces informations permettront de poursuivre le développement de moyens de lutte plus efficaces et adaptés à une régulation suffi sante pour limiter la menace que Vespa velutina nigrithorax fait peser sur les pollinisateurs, les abeilles, la biodiversité et la santé humaine.

Denis JAFFRÉ
Apiculteur professionnel et expérimentateur de méthodes et moyens de lutte écologique contre le frelon asiatique

Remerciements
Je tenais à remercier mes fils, Jonathan (écologue) et Mikaël (docteur en écologie), pour la relecture de cet article.

Bibliographies scientifiques sur la thématique
– Régulation naturelle par combats pour usurpation des nids (SPRADBERRY, 1991 ; ARCHER, 2012),
– Taux usurpations augmente avec densité (McDONALD & MATTHEWS, 1981 ; GAMBOA, 1978)
– Piégeage des reines au printemps (MONCEAU et al, 2012 ; ROME et al, 2013).