Quand Jos fait du Guth

Barbe de trois jours, chemise blanche sur jean délavé, maniant le micro avec brio, habitant la scène à nul autre pareil, on aurait pu croire au retour d’un improbable ancien musicien ou chanteur en mal du succès de jadis. Il n’en était rien ce soir-là au XXème congrès de l’Apiculture française de Colmar.

Il fallait s’y attendre, Jos Guth a attiré la foule des apiculteurs jeunes et moins jeunes tant sa réputation en apiculture n’est plus à démontrer. Flanqué de son compère et ami belge, il a généreusement partagé le fruit de leurs expériences et de leurs réflexions avec le public.

Soutien de la thermorégulation dans la colonie

Jusqu’à maintenant il était admis que plus l’air circulait dans la ruche meilleur serait le développement des abeilles. Il faut dire que Jos Guth, lui-même, a largement véhiculé pendant des années cette idée. Peut-être même en était-il à l’origine ? Aujourd’hui, il révise de fond en comble cette théorie : « À chaque fois que la pratique ne confirme pas l’hypothèse avancée, il faut remettre en cause son opinion. Si on a dit quelque chose qui n’était pas juste, il faut dire qu’on s’est trompé autrement on est un imbécile. Il y a des gens qui disent que le Guth bouffe ses propres paroles qu’il a dites il y 4 ou 5 ans. Je préfère les bouffer que continuer à dire des mensonges. Si c’est faux, c’est faux ! »

Bien aidé par la mauvaise météo de ces trois dernières années dans le sud de la France, il en déduit alors que les abeilles ont vraiment besoin de chaleur et qu’il faut économiser l’énergie dans la ruche.

Manifestement l’expérience montre qu’il reste toujours de la condensation et que les planchers complètement aérés ne sont donc pas suffisamment efficaces. Jos Guth engage alors un nouveau combat pour lutter cette fois contre les points les plus froids de la ruche à l’origine de cette condensation.

La poule, les abeilles et la vache

Ce pourrait-être un énième récit de notre célèbre fabuliste mais non, il s’agit des comparaisons tentées par Le compère belge de Jos, qui en définitive est l’instigateur de son revirement de position sur le sujet.

La reine agrandit son nid de couvain en pondant des oeufs autour du couvain existant, les nourrices garantissent la température du couvain à 35 degrés, les poules pondeuses, elles, couvent des oeufs qu’elles arrivent à chauffer quand il n’y en a pas trop en périphérie du nid. Cette situation est identique lors d’un manque d’abeilles dans la ruche faible quand les abeilles n’arrivent plus à chauffer la totalité du couvain, une partie finit par mourir comme les oeufs en surplus de la poule le font aussi. C’est maintenant que la comparaison avec la vache arrive. En effet, dans des conditions optimales la vache bien gardée produit beaucoup de lait. À cause de beaucoup de sollicitations dues au réchauffement du couvain dans les ruches faibles les abeilles vieillissent plus rapidement et ne peuvent plus garantir un nourrissement suffisant des larves. Elles n’ont plus de «lait » à donner aux larves. Les abeilles qui naissent sont peu résistantes et ont perdu de la longévité car leur élevage a été réalisé dans de mauvaises conditions, pas suffisamment nourries, pas suffisamment chauffées.

La solution se trouve donc, selon Jos Guth, dans la qualité de l’isolation des ruches de manière à créer un agréable microclimat pour les abeilles, à l’abri des courants d’air. La chaleur monte c’est donc par le haut que l’isolation doit commencer. Le couvre cadre thermique idéal c’est comme une couette qui déborde du lit. Pour l’hiver il est impératif de retirer le nourrisseur couvre-cadres de la ruche qui a tendance à garder l’humidité et qui contribue à la déperdition de chaleur. Une simple plaque de contreplaqué fera l’affaire avec une bonne isolation audessus. Cette isolation est constituée d’un encadrement de bois au centre duquel un matelas de fibres de chanvre et de lin sera inséré. Ce matelas de fibres (bien meilleur isolant que le polystyrène) est contenu dans une toile de sous toiture que l’on trouve dans les boutiques spécialisées en matériaux pour le bâtiment. Il est possible aussi de remplir ce cadre par des billes de polystyrène. L’isolation se poursuivra en traitant les rives du corps de ruche. Le couvain aura été réduit sur 8 cadres et chaque rive sera munie d’une partition entièrement en polystyrène ou alors avec un cadre entouré d’un revêtement en aluminium et bulles d’air.

Le dernier point à traiter pour la bonne isolation c’est le plancher que l’on devra complètement obturer par l’application d’une plaque sous le grillage. Ainsi équipée la ruche va permettre à la chaleur de rester beaucoup plus longtemps dans la ruche. Les colonies seront plus fortes et plus saines et le couvain ne restera pas uniquement en haut comme c’est le cas avec les planchers complètement aérés.

Production d’essaims

Un peu sarcastique, en parlant de la France et de ses apiculteurs, Jos Guth n’y va pas par quatre chemins quand il dit : « La France est la Terre promise des abeilles mais c’est un peu honteux pour vous, vous devez acheter ailleurs des essaims. La France devrait être exportatrice exclusive d’essaims dans toute l‘Europe, les possibilités que vous avez sont incroyables ». Il embraye alors sur sa méthode de création d’essaims. Il faut dire qu’en partant d’un seul essaim hiverné Jos arrive à créer 10 essaims dans l’année. Ce score est un sacré argument pour apprendre du maître.

La base de travail est la ruchette en polystyrène avec éléments qui s’emboitent. Le départ est constitué par la ruchette complète avec en lieu et place du toit, un autre corps de ruchette. Par un judicieux mouvement des cadres du corps inférieur vers le corps supérieur la démultiplication est assurée rapidement à la seule condition que le nourrissement soit généreux : « ce qui importe, il faut donner du gasoil ou de l’essence, il faut nourrir. Sans le nourrissement cela ne tournera pas ». Ce nourrissement sera au minimum de 3 litres de sirop à 20%. L’idéal serait aussi de constituer des blocs de chaleur constitués par un ensemble de ruchettes disposées les unes contre les autres de manière à éviter la déperdition de chaleur entre les parois latérales.

Varroa, médicaments et solution alternative

Dans l’attente de l’abeille VSH (Varroa Sensitive Hygiene) qui enlèvera une sacrée épine du pied des apiculteurs qui n’en peuvent plus de la prolifération du varroa, Jos Guth s’est inspiré en l’améliorant de la technique développée par certains apiculteurs italiens. Ces derniers provoquent une rupture de ponte juste après la dernière récolte de miel. Cette rupture est réalisée par encagement de la reine mais son ami belge a largement amélioré le dispositif en construisant un astucieux bricolage de sa conception. Jos Guth le présente au public. Il s’agit d’un cadre de hausse Nicot en plastique raboté d’une demie épaisseur et complété par un encadrement de bois sur lequel est fixée une grille à reine métallique rendue coulissante de manière à pouvoir introduire la reine. Ce cadre avec sa reine est positionné au milieu du couvain pendant 24 jours de manière à ce que disparaisse le couvain par blocage de ponte. Immédiatement après un traitement à l’acide oxalique est réalisé et la reine est soit changée soit remise libre dans la colonie. Voici donc une alternative aux traitements contre la varroose qui sont de moins en moins efficaces et développent des résistances. Jos Guth est catégorique : « Il faut bien savoir qu’on ne pourra jamais garder un être vivant si l’on vit avec des médicaments. Ça fait déjà 30 ans que l’on traite et à un moment cela ne marchera plus et on est arrivé quasiment à ce moment-là ».

Enthousiasme du public

Le succès de Jos Guth et de son ami lors de cette conférence est manifeste. La meilleure preuve en est que les deux compères ont été assaillis de questions pendant encore au minimum une heure après la fin de la conférence. Les uns sont venus dire bonjour ou simplement serrer la main de leur référence en apiculture.

Les autres sont allés voir au pied de la scène les multiples bricolages astucieux.

Comme à chaque fois que Jos Guth est au programme, le public est au rendez-vous. Cette fois son ami est venu assurer le duo mais il ne faudrait pas oublier que tout au long de la conférence Paul Jungels, un autre fameux apiculteur luxembourgeois, était aussi présent en permanence dans l’esprit de Jos Guth. À n’en pas douter les apiculteurs dans la salle vont mettre rapidement en pratique les recommandations de la « star » de l’aprèsmidi pour le plus grand bien des abeilles et des récoltes.

Olivier Billard
XXème congrès de l’apiculture française à Colmar – Octobre 2014