Non, rassurez-vous ! Il ne s’agit pas de la dernière invention en matière d’aérodyne automatisé, ni d’un « UAV » d’outre manche (Unmanned Aerial Vehicle = véhicule aérien sans humain à bord), encore moins d’un « UAS » d’outre atlantique (Unmanned Aircraft System = système d’aéronef sans humain à bord), ou plus banalement d’un drone français, cet aéronef sans équipage dont le pilotage est automatique ou télécommandé.
Néanmoins, il s’agit bien d’un objet volant en phase de développement, le « FBBCA » au stade larvaire (larves de Faux-Bourdon Bien Connu des Apiculteurs) ! Littéralement, Drone Brood se traduit par couvain de faux-bourdon.
Les faux-bourdons se développent dans des cellules à partir d’œufs non fécondés par un processus appelé parthénogenèse. Le développement des faux-bourdons est de 24 jours. Il est plus long que celui des reines et des abeilles ouvrières (16 et 21 jours, respectivement). Au cours des dix premiers jours, les faux-bourdons se développent dans des cellules ouvertes et les larves sont nourries par les ouvrières. Les 14 derniers jours de développement se déroulent dans une cellule fermée par un opercule convexe.
Cette différence de forme d’opercule et la taille des cellules permettent l’identification du couvain mâle dans le rayon. Au cours de cette phase, une métamorphose des pupes se produit et le processus de spermatogenèse se termine.
Le drone brood est donc un produit apicole réputé avoir des qualités pour la santé composé de larves de faux-bourdons extraites du couvain mâle d’une ruche entre les jours 7 et 10 après l’éclosion des oeufs, juste avant l’operculation des cellules. Produit de la ruche peu connu, et encore moins consommé en France, les larves de faux-bourdons constituent pour autant un composant de la pharmacopée de l’apithérapie.
Nous vous proposons d’en découvrir ses qualités et ses vertus démontrées ou supposées par la revue de la littérature récemment publiée. Nous aborderons successivement l’historique de l’usage des larves de faux-bourdons à travers le temps et les continents,
les causes actuelles du regain d’intérêt porté à cet aliment, ses qualités nutritionnelles et pour l’apithérapie, et les perspectives futures.
L’usage des larves de faux-bourdons à travers le temps et les continents Les aborigènes d’Australie utilisaient largement les insectes de leur environnement comme nourriture ou médicament, dans le cadre de leurs croyances culturelles. Ils se sentaient en phase avec leur environnement et n’avaient aucun mal à « vivre de la terre ». C’était en raison de leur connaissance intime des ressources naturelles de leurs territoires tribaux et de leur compréhension complète des habitudes des animaux qu’ils chassaient (1).
Par exemple, pour localiser le « sac de miel » (honeybag = ruche) des abeilles indigènes sans dard (Trigona spp.), les aborigènes pouvaient procéder de deux manières. Ils pouvaient attraper une abeille butinant, lui attachaient une feuille ou un pétale au moyen du jus collant de certaines plantes, puis la lâchaient. L’abeille ainsi lestée était facile à voir et volait plus bas et plus lentement vers le sac à miel, facilement suivie par le chasseur. Ou bien, les aborigènes cherchaient des petits lézards noirs, qui vivent dans les arbres accueillant le sac à miel et qui se nourrissent des abeilles à leur retour à la ruche.
Pour obtenir le sac de miel, l’arbre était percé d’un trou en-dessous de la cavité logeant la ruche. Un bâton pouvait alors être enfoncé et agité dans la ruche jusqu’à ce que le mélange composé de miel et de larves coule le long du bâton dans un panier d’écorce. En plus d’être consommés directement comme nourriture, les larves et le miel servaient de médicament pour « nettoyer les tripes ». De nombreux mythes, légendes ou croyances accompagnent parfois la consommation de larves par les populations tribales.
En Afrique, les Hadza cueillent ou chassent près du lac Eyasi dans le nord de la Tanzanie (2). Une étude d’échantillons collectés sur le terrain et préparés selon les méthodes Hadza
montre que les rayons mangés par les Hadza contiennent beaucoup de larves. Cette alimentation a été analysée, elle est riche en énergie, en protéines et en lipides.
Elle est consommée en certaines circonstances coutumières. Les auteurs suggèrent qu’elle pourrait fournir une source de graisse importante pendant certaines périodes de l’année. Des communautés du Sénégal et de Zambie se délectent aussi de larves.
Pour les habitants du Mexique, en Amérique centrale, les insectes et les larves sont une composante importante du régime alimentaire, notamment chez certaines communautés
rurales d’Oaxaca. Cette ressource alimentaire est consommée en fonction de l’espèce, de la saison, de l’habitat, du climat, du biotype et des croyances (3). Quotidiennement au menu
dans certaines régions, les larves d’insectes sont rôties, frites ou incorporées dans un plat de ragoût. Les larves d’abeilles et d’autres hyménoptères (fourmis et guêpes) sont leurs préférés.
Les larves sont également consommées en Équateur.
Dans le sud-est asiatique, les « chasseurs d’abeilles » sont réputés en Thaïlande (4). Ils s’attachent à la cueillette des rayons ouverts en hauteur sur les arbres ou les plafonds de
cavités. Plus de 10 000 colonies d’Apis florea sont récoltées chaque année et les Thaïlandais consomment les larves, les pupes et le miel ensemble. C’est aussi le cas en Inde, au Pakistan et en Chine.
En Europe, l’ingestion de larves semble plus confidentielle et apparait se concentrer dans les régions de l’est du continent, en Roumanie, en Russie.
Ainsi, il est clair que les larves d’insectes ne sont pas une « nouvelle » nourriture pour l’homme, mais elles suscitent une attention nouvelle.
Les causes actuelles du regain d’intérêt porté aux larves de faux-bourdons
Le potentiel nutritionnel des insectes pour l’alimentation humaine et animale a attiré l’attention au cours des dernières années, et pour de bonnes raisons. De nombreuses espèces
nécessitent moins de ressources pour se reproduire, ont un impact environnemental plus faible que les classiques élevages de bétail, et sont très nutritives. Nous comptons environ 2 000 espèces d’insectes consommées dans plus d’une centaine de pays. Certaines espèces apparaissent comme un moyen potentiel d’amélioration de nos ressources nutritionnelles et un moyen de diversifier nos approvisionnements alimentaires.
Les larves de faux-bourdons semblent être une ressource comestible prometteuse, car l’abeille mellifère (Apis mellifera) est à ce jour présente sur quasiment toute la planète. L’apiculture est ancienne de plus de 2 500 ans en Europe. Les larves de faux-bourdons sont appréciées pour leur riche composition nutritionnelle et, certains, comme vu plus haut, les cuisinent de manière coutumière dans diverses préparations culinaires et semblent apprécier leur goût. La relation privilégiée abeille/homme dans ses formes les plus diverses ne date donc pas d’hier !
Les techniques apicoles réservent aussi aux larves de faux-bourdons un rôle sanitaire. Il est courant de procéder à l’enlèvement du couvain de faux-bourdons. Ce procédé fait désormais partie des stratégies de gestion de la lutte contre varroa (Varroa destructor), ce parasite nuisible affectant l’abeille mellifère. Pour certains, cette pratique fait des larves
de faux-bourdons un sous-produit, source d’une abondante quantité de larves d’élevage au potentiel inexploité.
En 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA – European Food Safety Agency) a examiné les risques de salubrité des aliments associés à la production et à la consommation d’insectes. L’étude portait sur les espèces d’insectes identifiés comme pertinentes pour l’agriculture en système de « fermes fermées » (élevage en milieu clos). Les résultats globaux de l’étude EFSA pour d’autres espèces comme les sauterelles, les grillons et le vers de farine sont très positifs.
Ce travail a conclu à l’absence de risque biologique associé à la production et la consommation de ces insectes, en comparaison avec les systèmes traditionnels de production animale (bovins / ovins / volailles). Mais avec l’abeille, la production
ne s’effectue pas dans un système de production fermée. Ainsi, les larves de faux-bourdons étaient en dehors du cadre de l’étude EFSA. Mais une demande d’approbation a été formulée, et pour cause.
La recherche sur la biologie et l’élevage de l’abeille domestique ont une longue histoire par rapport aux autres candidats-insectes. Cette culture des bonnes pratiques apicoles est
transmise aux apiculteurs à travers divers canaux d’informations tels que la formation ou les instances représentatives.
Par rapport à d’autres formes de valorisation des ressources naturelles locales, l’apiculture nécessite peu de surface arable et un investissement fi nancier modéré. Les abeilles fournissent aussi un service de pollinisation important qui stimule la diversité écologique, la production agricole et les économies locales connexes. Des travaux concluent que ces actions se font avec un coût écologique performant (5, 6). L’impact écologique de
la production de protéines de larves de faux-bourdons est très faible, avec un aspect durabilité supérieur par rapport à la production de protéines de volailles ou même de vers de farine.
Les qualités nutritionnelles et pour l’apithérapie des larves de faux-bourdons
Diverses publications (7, 8, 9) rapportent la composition chimique, les méthodes de stockage et de conservation des larves de faux-bourdons, ainsi que leurs activités biologiques et leurs applications en nutrition et en apithérapie.
Les larves de faux-bourdons fraîches sont riches en eau (environ 70 % de la masse). Cependant, le lyophilisat de larves est le plus étudié car c’est le mode de consommation habituel. Les recherches effectuées ont montré que ce lyophylisat est une source riche en protéines (57,7 g/100 g) avec la plupart des acides aminés essentiels. Il comporte des glucides (17,8 g/100 g) et il est une source de lipides (21,9 g/100 g). Parmi les lipides, on note une importante concentration d’acide linoléique conjugué (30 à 50 %). Les acides gras polyinsaturés représentent 10 % avec un excellent rapport ω 6 / ω 3 égal à 0,65. On note aussi des phytostérols (campestérol, β-sitostérol, stigmastérol).
Le lyophilisat comporte aussi un taux élevé de vitamines B (B2, B3, B5, B6, B12), d’acide folique, de biotine, de choline, d’inositol, ainsi qu’une teneur importante en macroéléments
(potassium, magnésium, sodium, phosphore) et en micronutriments (manganèse, cuivre, fer, sélénium).
Les larves de faux-bourdons, en plus des nutriments listés, contiennent des hormones stéroïdes comme la testostérone, la progestérone, l’estradiol et la prolactine.
Les activités biologiques de larves fraiches et du lyophilisat ont été testées sur des modèles animaux et humains. Ils ont des propriétés pour stimuler le système immunitaire en stimulant la production d’anticorps et l’activité des cellules immunitaires de type lymphocytes T. Les lipides pourraient avoir un rôle dans la modulation de la réponse immunitaire.
Sur modèle animal, le lyophilisat de larves a montré un effet androgène conduisant à améliorer la capacité sexuelle et de reproduction. Les hormones stéroïdes en association avec la riche teneur en acide linoélique conjugué favorisent l’augmentation de la masse musculaire de l’animal et la diminution de sa masse grasse. Le lyophilisat de larves a une activité liée aux hormones sexuelles plus prononcée que la gelée royale, permettant chez le déficient hormonal la normalisation de la concentration sanguine de testostérone et de fructose. Cet effet positif sur la teneur en hormones mâles a été démontré dans les traitements cliniques de l’infertilité masculine (10).
Des effets similaires ont été observés sur modèle animal in vivo. Le poids des organes sensibles aux hormones masculines et le taux sanguin de testostérone ont augmentés chez
les rats castrés. Ces mêmes résultats ont été observés sur les jeunes poulets.
De plus, l’ingestion de larves de faux-bourdons pourrait réduire les paramètres de stress oxydatif car le lyophilisat comporte une importante activité antioxydante liée à ses polyphénols.
Une diminution du risque cardiovasculaire est encore décrite.
Là encore, l’acide linoléique conjugué pourrait jouer en synergie avec les phytostérols un rôle bénéfique. Ensemble, ils diminuent les taux de lipides sanguins chez l’homme en raison des diminutions du cholestérol total et du LDL (« mauvais cholestérol ») et de l’augmentation du HDL (« bon cholestérol »).
D’autres applications sont décrites mais avec un niveau de preuve plus discutable.
Elles devront être confirmées par des études complémentaires.
En conclusion, en plus d’être une ressource économique supplémentaire pour l’apiculteur, le lyophilisat de larves de faux-bourdons constitue un supplément nutritionnel très intéressant
en raison de la richesse et de la diversité de ses composants. Ses indications en apithérapie
devraient se multiplier avec les futures recherches qui accompagneront le regain d’intérêt pour ces larves. Une question reste en suspens, ce lyophilisat peut-il être consommé par les personnes aux antécédents de pathologies néoplasiques hormonodépendantes? La littérature est muette. En l’absence de la preuve indiscutable, le principe de précaution s’impose.
Dr Claude NONOTTE-VARLY
Médecin spécialiste en Allergologie
Président de l’Association Francophone d’Apithérapie
Bibliographie
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