La fontaine de Clèves

On les croyait tous les deux disparus dans les poubelles de l’Histoire, or périodiquement ils nous rappellent que sans cesse nous devons remettre notre ouvrage sur le métier.
Deux exemples illustreront notre propos : commençons par la gouvernance. En apiculture, un axiome veut que l’intelligence augmente avec le nombre de ruches : c’est oublier bien vite les grenouilles du bon La Fontaine, lesquelles se lassant de l’état démocratique, par leurs clameurs firent tant que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. Penchons-nous un bref instant sur le cas de l’Institut Technique et Scientifique de l’Apiculture et de la Pollinisation (ITSAP). D’aucuns s’étaient émus du fait que ce ne soit pas une institution démocratique, le problème a été vite réglé : l’ITSAP est une instance technique et non politique, donc elle n’a nul besoin de la démocratie puisque les décisions politiques se prennent au Comité Apicole. Ceci expliquant cela, nous avons vu la création d’ADA France, car il ne faut pas laisser les grenouilles se gouverner.
Car la gouvernance, c’est surtout la détention de l’argent et sa redistribution. D’aucuns qui ont encore l’honnêteté des enfants pour qui on écrit les fables, se sont émus du fait que les 40 millions d’euros pour relancer l’apiculture sur une période de trois ans, ne seraient à l’arrivée que 33 et que ces 33 n’étaient jamais que ce qui était déjà distribué précédemment.
Quand nous refîmes les additions ensemble, nous nous sommes vite aperçus, comptant en notre pensée, que le prix de notre lait s’était déjà envolé avant d’arriver au marché.
En matière économique, un certain nombre d’apiculteurs sont partisans de l’école de Chicago et estiment que la redistribution de l’argent public ne doit pas s’effectuer au profit des bénévoles ni des retraités . Il ne vous échappera pas que d’une part, c’est bien mal connaître cette théorie et que d’autre part c’est faire preuve de schizophrénie. En effet, ce qu’ils veulent c’est que l’argent public leur revienne à eux seuls, libres entrepreneurs, alors que la théorie exclut tout interventionnisme afin de ne pas fausser les règles de la concurrence. Bref, vouloir une chose et son contraire, tel n’est-il pas le fait de nos grenouilles de la fable.
Le deuxième exemple concernera le déni, ce que d’aucuns appellent encore négationnisme. En matière d’apiculture, il concerne essentiellement les pesticides. Que des syndicats que les ouvriers appelleraient « jaunes » ou d’autres encore « croupions » par référence au Parlement anglais de 1648, soient dans cette attitude à l’égard des pesticides, il n’y a là rien que de très normal. Mais que des députés suivent le même penchant et souhaitent que la filière apicole française soit sérieusement restructurée en lien étroit avec le reste du monde agricole, les semenciers et les chimistes, on est en droit de s’en étonner.
Heureusement, pour ce qui concerne les chimistes, le représentant de l’Etat s’y est catégoriquement opposé lors de la dernière réunion du Comité Apicole, mais combien de temps pourra-t-il encore tenir cette position empreinte de sagesse et de bon sens ? Que toutes les abeilles ne meurent pas tuées par les pesticides, c’est heureux.
Il y a bien sûr la mortalité naturelle et accidentelle, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt, de même que l’automobile ne tue pas tous les humains, ce qui permet d’oublier les 20 000 morts de phlébite chaque année.
S’il fallait des preuves, on aurait pu déjà se reporter au rapport de l’AFSSA de décembre 2005, qui faisait état de 11 prélèvements de pollen contenant de l’imidaclopride à la sortie de l’hiver et de 14 prélèvements au printemps 2004. Mais il vaut mieux écouter les sirènes qui détournent la science au profit de l’industrie. C’est ce qu’on fait les fabricants de tabac outre-Atlantique, dénoncés notamment dans le livre de Naoini Oreske, et c’est ce que font les producteurs de pesticides ou de bisphénols.
Précisément, c’est ce que Stéphane Foucart, journaliste du Monde, montre dans son livre intitulé « La Fabrique du mensonge » et qui sera disponible auprès de l’Abeille de France.
Mais rassurez-vous, tous les députés et tous les agriculteurs ne sont pas dans le déni. Nous nous en sommes rendus compte le 27 mars 2013, lors du petit-déjeuner organisé dans les salons de l’Assemblée Nationale et auquel le S.N.A. avait été invité à participer. En effet, nous avons pu y rencontrer deux agriculteurs victimes de pesticides et créateurs de l’association « Phytovictimes » qui prouvent que la défense des abeilles contre les pesticides passe par la défense des agriculteurs contre les mêmes pesticides. Et si d’aventure il vous restait encore un peu de temps pour vous intéresser à votre santé et à celle de votre famille, vous pourriez utilement lire le livre de Marie Grosman et Roger Lenglet « Menace sur nos neurones » (Actes Sud), où vous verriez que Paul François, victime d’une intoxication au Lasso, s’est vu étrangement déconseillé d’effectuer des analyses de sang et d’urine !
Ah déni quand tu nous tiens ! Décidément, je ne serai jamais d’accord avec Nietzsche pour dire que l’oubli est une qualité majeure.