Un champs de fleurs

Au-delà de la question de l’accès, de l’exposition ou de la protection, tout apiculteur s’interroge sur la quantité de fleurs que ses abeilles pourront trouver aux alentours lors de l’établissement d’un rucher. Une partie d’entre eux s’interrogent également sur la régularité de ces ressources florales, et la diversité des pollens disponibles pour les colonies. Pourquoi ? Parce que la ruche double ou triple sa population au printemps pour amasser beaucoup de miel et qu’elle devra aussi assurer l’hivernage prochain grâce à des abeilles capables de passer l’hiver. Cette constatation bien triviale suppose aussi que les butineuses ramèneront du pollen en quantité suffisante pour le développement du couvain mais également pour l’assurance d’une bonne population d’ouvrières à l’automne capables de vivre jusqu’à cinq mois. Contrairement au miel, le pollen n’est pas stocké sur de longues périodes, ou bien s’il l’est, il est souvent délaissé au détriment d’un pollen fraîchement amassé. On sait que le manque de pollen dans les colonies favorise les maladies, on sait aussi que les lipides qu’il contient jouent un rôle essentiel dans la défense immunitaire. Il a également été démontré l’importance de la diversité des pollens dans la santé des abeilles.

C’est pourquoi une soixantaine d’apiculteurs français se sont lancé en 2014 dans une opération d’envergure pour mesurer cette régularité et cette diversité des pollens ramenés à la ruche au cours de la saison. Il s’agit en fait d’une opération beaucoup plus importante lancée au niveau européen par R. Brodschneider (Autriche) et S. van der Steen (Pays-Bas) à travers l’action CSI Pollen (en anglais « Citizen Scientist Investigation on Pollen »), rassemblant aujourd’hui 21 pays et plus de 500 apiculteurs. Au moyen d’une organisation efficace permettant de saisir directement les résultats sur Internet, cette action de science participative fait intervenir des apiculteurs volontaires qui, à eux tous, produisent beaucoup plus de données que n’importe quel laboratoire de recherche. La connaissance produite permettra de répondre à la question de la biodiversité rencontrée par nos abeilles, et savoir si cette notion, tant utilisée de nos jours, peut être un facteur supplémentaire qui fragilise nos ruches dans l’environnement moderne d’aujourd’hui. La multitude des couleurs des pelotes de pollen est en général un signe de diversité florale qui ne trompe pas, et qui est bien connu des producteurs de pollen. Ces « citoyens scientifiques » ont travaillé avec les moyens du bord accessibles à tous, en dénombrant tout simplement les différentes couleurs des pelotes échantillonnées dans les trappes à pollen. Ils ont aussi noté chacune des couleurs comme abondante, rare ou très rare. Plus tard, d’autres observations, microscopiques et en laboratoire cette fois, permettront d’établir les correspondances entre le nombre d’espèces et le nombre de couleur des échantillons.

Au-delà des 7800 échantillons analysés en Europe en 2014 et des 316 apiculteurs en moyenne qui ont oeuvrés de façon synchronisée toute les 3 semaines, intéressons nous à ce qui s’est passé en France. 12 régions françaises ont participé aux campagnes d’échantillonnage et ont mis en évidence un nombre maximum de couleurs de pelotes par colonie de mi-mai à mi-juin (env. 6 couleurs) et un minimum en septembre (inf. à 5 couleurs), avec toutefois une reprise en août. La moyenne annuelle est de 5,66 couleurs par colonie alors qu’elle est de 6,91 au niveau des ruchers. C’est là un premier résultat très intéressant qui tient compte de la différence de récolte entre 2 ruches voisines du même rucher. On pourrait également supposer que cette différence entre les ruches sera d’autant plus importante que la ressource est rare mais c’est ce que nous chercherons à vérifier avec les données à venir. Nous avons également enregistré des différences régionales. En Rhône-Alpes, Lorraine et Bretagne il semble y avoir moins de couleurs de pollen que pour le Poitou-Charentes, l’Ile de France et le Languedoc-Roussillon. L’environnement de chaque rucher a été décrit par les apiculteurs en plus d’avoir été précisément géolocalisé. Nos résultats montrent qu’un plus grand nombre d’habitats différents augmente la proportion des couleurs fréquentes, c’est à dire la diversité de la nourriture pollinique des abeilles, tout particulièrement au printemps. Nous allons étudier à l’avenir les relations entre cette diversité alimentaire et la nature de ce qui représente les environs, la présence de cultures, bois, prairies, zones urbaines, etc.

En conclusion, la diversité alimentaire « moyenne » semble assurée, au regard des « 4 pollens différents par jour » comme le préconisait une étude de G. Di Pasquale de l’INRA d’Avignon parue l’année dernière (Abeille de France Nov13- 1007). En revanche, nous poursuivrons nos investigations pour comprendre l’origine des variations au niveau des ruches, lesquelles paraissent importantes dans certaines situations.

Nous remercions tous ceux qui ont contribué à cette première année et espérons que la continuité de cette expérimentation en 2015 permettra d’augmenter le nombre de participants français pour arriver à comprendre où et quand cette diversité est plus problématique.

Venez nous rejoindre en 2015 pour participer à l’action CSI Pollen, contact : JF. Odoux INRA Le Magneraud.

jean-francois.odoux@magneraud.inra.fr