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Alors que pour les chefs d’Etats commencent les âpres négociations sur le climat dans le cadre de la CoP 21, pour les apiculteurs, c’est la santé de l’abeille qui est sur ledevant de la scène. Pour la 3° année consécutive, l’Anses,l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,de l’environnement et du travail, a organisé cet événement,intitulé pour l’occasion : « Santé des abeilles : impact de la co-exposition aux facteurs de stress ».

La co-exposition des abeilles aux facteurs de stress est la règle.

Une présentation commune à l’Inra (Y. Leconte), Oniris (Suzanne Bastian) et l’Anses, les 3 principaux organismes qui travaillent sur la santé de l’abeille, suite à une auto-saisine de l’Anses en 2012 face aux problèmes de mortalité ou d’affaiblissement liés aux pesticides chez les abeilles.

Le rapport est accessible en ligne sur le site de l’Anses1 et se divise en 3 volets :

• Rôle des facteurs de stress dans l’affaiblissement et la mortalité des abeilles

• Prise en compte des interactions dans l’évaluation des PPP pré- et post-AMM

• Recommandations pour mieux gérer la santé de l’abeille.

Un état des lieux sanitaire de la filière a été réalisé.

Quel bilan ? La co-exposition est la règle, des facteurs chimiques croisent d’autres facteurs, des parasites,des agents infectieux ; le portage asymptomatique est conséquent.

Concernant les mécanismes physiologiques impliqués,certains ont été identifiés comme des perturbations sur les mécanismes de détoxification (inhibition du mécanisme qui augmente la sensibilité de l’abeille aux pesticides),l’immunité (individuelle ou sociale, c’est-à-dire au niveau de la colonie), sans oublier les interactions entre varroa et les virus qui lui sont associés.

Les ruchers français sont porteurs asymptomatiques des virus et pathogènes suivants : le virus des ailes déformées ou DWV (Deformed Wing Virus), le virus israélien de la paralysie ou IAPV (Israeli acute paralysis virus), le virus du Cachemire ou KBV (Kashmir Bee Virus), le virus de Varroa destructor 1 (vdv1), Melissococcus plutonius (responsable de la loque européenne) et Paenibacilluslarvae (responsable de la loque américaine) pour les plus fréquents. Il n’est pas rare que 3 ou 4 virus se retrouvent au sein d’une colonie en même temps.

Quant aux substances, jusqu’à 15 substances chimiques ont été retrouvées dans les ruches courant mai… En fonction des matrices, les molécules ne sont pas les mêmes ; nous n’en citerons que quelques-unes :

Insecticides :
• le tau-fluvalinate et le coumaphos dans les abeilles
• le carbaryl, le tau-fluvalinate, le coumaphos etc. dans le pollen
• le carbaryl, l’imidaclopride, le tau-fluvalinate, le coumaphos, le phosmet, etc. dans le miel
• le pyrimicarbe desméthyl, le thiaclopride, lethiaméthoxam, l’acétamipride, le tau-fluvalinate et lecoumaphos dans le pain d’abeilles.

Fongicides :
• le thiophanate-méthyl et le carbendazime dans les abeilles
• le pyriméthanil, le tébuconazole, le boscalide et le carbendazime,… dans le pollen
• l’imazalil, le cyproconazole et le carbendazime2 dans le miel.

Concernant le suivi post-AMM3 du maïs Cruiser (2008-2010), un suivi sur 56 ruchers dans les 6 régions les plus productrices a été effectué, difficile de conclure…

Les experts appellent également à diminuer le recours aux intrants dans les pratiques agricoles afin de limiter l’exposition globale des abeilles aux pesticides. Pour les recommandations, pré-AMM4, les chercheurs soulignentla nécessité de : croiser l’action insecticide-acaricide,insecticide-insecticide et insecticide-fongicide. De même,ils recommandent qu’un suivi post AMM pesticides-pesticides devrait être effectué tout comme des essais en présence de parasitisme modéré de varroa et infection parvirus associé (cf. virus des ailes déformées).

atumida

Enfin, la nécessité de poursuivre l’effort de recherche a été mentionnée tout comme le besoin d’études épidémiologiques avec une méthode de recueil de données standardisée et une recherche concomitante des agents biologiques et chimiques. Ceci rendrait alors possible une comparaison avec des données collectées via un réseau de ruchers de référence. « Il faut savoir ce qu’est une colonie en bonne santé qui ait un fonctionnement « normal » avec des bonnes pratiques apicoles ! »

Aethina tumida, une fois de plus aux portes de la France.
Aethina tumida est ce petit coléoptère de la ruche dont les larves carnivores se nourrissent de pollen, de couvain.Elles rendent la colonie insalubre, le miel pourri et est donc impropre à la consommation.

Originaire d’Afrique du sud, il a fait son apparition en 1996 aux USA ; moins de 10 ans après, il était en Europe(2004, au Portugal), il est « aujourd’hui » (2014,2015) de retour en Italie avec, de nouveau, un 1er signalement début septembre ; au 24 novembre, en Calabre, il y avait 26 foyers5.

Le contexte réglementaire est fort, couplé à Tropilaelapsssp., Directive 92/65/EEC et OIE « prévenir d’une zone d’au moins 100km de rayon dans laquelle il n’y a pas de restriction dues à des suspicions ». Il faut poser des pièges et brûler.

Les experts des Agences sanitaires ont mené des étudesde terrain, pour (in)vérifier des « légendes urbaines »comme « le petit coléoptère a été trouvé dans les agrumes pourris, réservoirs majeurs et donc impossiblea contrôlé ». De nombreuses visites de terrain, de vergers d’agrumes ont été faites et des prélèvements ont aussi été effectués.
Bilan : de nombreux petits coléoptères   ont été récoltés, plusieurs espèces ressemblantes dont Cychramus luteus (voir photographie) ont été identifiées lors des prélèvements, des espèces de la même famille que A. tumida mais aucun A. tumida !

Photographies : Aethina tumida vs Cychramus luteus,retrouvé lors des prélèvements effectués dans les vergers d’agrumes italiens (©C. luteus, Lech Borowiec)

Une mise à jour régulière de la situation est faite sur la plateforme d’épidémio-surveillance santé animale :www. plateforme-esa.fr

figure1

Figure 1: Cycle de vie d’Aethina tumida (d’après le GDSAde Corse, source: http://www.gdsa-corse.fr/files/Docs%20site/A__tumida_.pdf)

La représentante de l’Anses s’est adressé enfin au monde apicole : « On suppose que certains apiculteurs cachent la présence d’A. tumida. » et de rappeler que « le transfert le plus à risque est celui par les apiculteurs, ensuite vient le transfert via le matériel apicole ;

le risque de transfert par la terre est minime.Prochainement un rapport de l’Efsa va sortir : si A. tumida devait se diffuser seul, cela prendrait des centaines d’années pour faire 100 km, le fait d’être associé aux pratiques apicoles réduit ces délais, les efforts sont à faire dans le monde apicole ».

Sans oublier que le petit coléoptère se déplace d’autant plus loin que les abeilles essaiment et les abeilles nourrissent le petit coléoptère…

Un frelon qui reste un fléau
Après le petit coléoptère, se fut le tour du frelon asiatique…
Pas de répit pour les abeilles !

Mme Claire Villemant (MNHN) a présenté un bilan des connaissances et de la situation du frelon asiatique (Vespavelutina nigrithorax) en France et en Europe6.

aethina

Il existe 12 variétés de frelon asiatique différentes, la variété nigrithorax est celle qui se situe le plus au nord del’aire de répartition. Arrivé en France et en Corée en 2004,V. velutina nigrithorax est un prédateur contre lequel Apis cerana peut se défendre, constituent une boule et font mourir (littéralement cuire) le frelon à 45°. Les abeilles,elles, peuvent résister jusqu’à 50°C lors de la formation de la boule. Ce phénomène existe désormais en Asie pour A. mellifera ; c’est une capacité de défense qui a été acquise.Cependant, la technique est d’une efficacité moindre.En Europe, en Grèce, le frelon oriental peut attaquer les ruches, il y a alors formation de boules avec une asphyxie du frelon plutôt que cuisson à la manière d’A. cerana. Les reines hivernantes sont responsables de l’invasion ;toutes à partir d’une seule reine importée directement dela région de Shangaï. Depuis 2007, un suivi a été mis enplace (Tableau 1), avec en 2015, un site dédié : http://frelonasiatique.mnhn.fr

 Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2014
 Nids  5  223  1613 1104 1637 Espagne Portugal

Belgique

Italie Allemagne

Tableau 1 : Nombre de nids en fonction des années. Pour 2007, l’hypothèse de signalements erronés est soutenue.A partir de 2010, seuls les nouveaux pays où le frelon asiatique a été signalé sont mentionnés. Concernant la Belgique, pas de nouveau signalement, absence d’acclimatation de l’espèce.

La part des signalements erronés représenterait environ 30%/an, doublon et confusion avec des Scolies, des Xylopes, des Syrphes qui pondent dans les nids de frelon(mimétisme), une grande confusion aussi avec la guêpe des buissons (Dolichovespula media) ou la guêpe germanique(Vespula germanica), notamment au niveau du nid7

A propos des nids du frelon asiatique, leur localisation(pour les nids matures), est à plus de 10 m pour 70% d’entre eux ; 4% à moins de 2m, les plus dangereux étant ceux qui se situent dans les ronciers. Leur répartition semble stable : milieu urbanisé 49%, milieu rural 43% et les 7% restant en milieu forestier.

Quant à son expansion ? La sécheresse estivale a été identifiée comme facteur limitant mais les prédictions pour les années à venir donnent la France comme la région des plus favorables dans le monde ; la côte est des Etats-Unis aussi, probablement.

Des prédateurs ? Un unique : la Bondrée apivore dont le prélèvement qu’elle effectue ne diminue aucunement la force de la colonie, son impact est donc négligeable. Deux parasites ont été identifiés Pheromermis vesparum ?(un nématode) ou Conops vesicularis mais ce dernier ne s’attaque qu’à des individus et parasites des abeilles sauvages…

La lutte ? Le piégeage : on n’observe pas de différence…mais il est recommandé de piéger au rucher l’été pour limiter l’impact de ce prédateur opportuniste.

Les perspectives : un piège avec des phéromones, on en parle depuis 7 ans… ; le géraniol, mais cela attire aussi les abeilles ; la sarracénie, plante carnivore… peut être,si on arrive à synthétiser la substance qui les attire…cela prendra des années. En attendant, les méthodes« alternatives » d’encagement ou muselière semblent diminuer le stress causé par la présence du frelon au rucher…

Des limites à la lutte énoncées que plusieurs apiculteurs de la salle ne peuvent se résoudre d’entendre.

La deuxième partie de la journée fut consacrée à une table ronde où cette année, tous les représentants de monde apicole étaient présents…ceux des firmes agrochimiques aussi ! A la tribune donc, M. Vigouroux (IUPP), M. Lanio (Unaf), M. Alétru (SNA), M. (DGAl), M. Barbançon (Fnosad),M. Delaunay (Fnsea) et un représentant du Ministère pour un débat cadré par M. Gerster (CGAER), responsable du Plan de développement durable de l’apiculture.

Si le représentant des firmes agrochimiques (IUPP) a tentéde mettre Varroa sur le devant de la scène, il a été précisé qu’il n’était pas question de savoir si oui ou non, le varroa était majoritairement responsable des stress causés auxabeilles, ni de discuter de la dangerosité des produits phytosanitaires pour les pollinisateurs, les preuves sont désormais sur la table en plus d’être au rucher. M. Lanioa pour sa part rappelé la Directive européenne 2009/128,dite Directive « utilisation durable des pesticides » qu’il serait bon de respecter ! Quant à M. Alétru, représentant du SNA et le l’association Terre d’Abeilles, il a demandé àce que soit remise au goût du jour la révision de l’Arrêté mention Abeille avec un traitement nocturne mais sans laisser le monde des cultivateurs sans solution techniquepour la protection de leur culture. Il a aussi proposé la mutualisation des compétences des experts des différentes instances (EFSA, Groupe méthode –firmes,apiculteurs,…) afin d’arrêter de perdre du temps et pourêtre plus efficaces dans la mise au point de méthodes standardisées pour l’évaluation des risques encourus parles abeilles. M. Barbançon, seul représentant du sanitaire,a lui souligné le problème de l’exposition multiples en termes de contamination des matrices apicoles, même les cires bio… sans oublier la « détresse des apiculteurs face à varroa » et de conclure en demandant aux firmes defournir les molécules actives et leurs métabolites afin de permettre aux différents laboratoires d’analyse de pouvoir étalonner leurs machines pour retrouver les molécules8

Nul ne saurait nier que le dialogue entre les acteurs du même territoire est à encourager, qu’il faut former aussi ; que les réseaux de surveillance sont une nécessité tout comme la diminution d’utilisationdes pesticides portée par le Plan Ecophyto et le« produire autrement » du projet agro-écologique…« Les abeilles sont stressées mais les apiculteurs aussis ont stressés et il va falloir trouver des solutions… »Et si on produisait vraiment autrement ?

Cindy Adolphe

 

1 https://www.anses.fr/fr/system/files/SANT2012sa0176Ra.pdf
2 Le carbendazime est retrouvé fréquemment dans les trois matrices. Ces détections proviennent essentiellement de l’étude Oniris (échantillons de 2009,autorisation retirée depuis 2008 avec limite d’utilisation au 31/12/2009)
3 Autorisation de mise sur le marché
4 Depuis le 1er juillet 2015, ce n’est plus le ministère de l’Agriculture qui délivre les AMM des produits phytosanitaires mais l’Anses. Cependant, « la mise en oeuvreeffective de cette proposition est subordonnée à une adaptation de la réglementation communautaire, après mise au point des tests et procédures nécessaire ».
5 Au 1er décembre, on en dénombrait 27.
6 Le frelon européen, Vespa crabro est aussi d’origine asiatique
7 Pour retrouver toutes ces espèces et vous permettre de faire la différence : https://inpn.mnhn.fr ou http://frelonasiatique.mnhn.fr/identification/
8 Une grande partie des tests sur matrice apicole est effectuée hors de France, notamment en Allemagne.