Rucher expérimental en hiver

 

La France et le les pays européens semblent s’installer dans une routine qui , année après année, fait état d’une mortalité de 30% quand les Etats-Unis annoncent dans le même temps une mortalité de 80% et un renouvellement des reines tous les ans voire tous les 6 mois. L’apiculture serait-elle devenue une pratique du jetable ?

Les raisons invoquées sont toujours une énumération classique : Varroa destructor, pesticides, virus, famine, perte de biodiversité, aléas climatiques, … . parfois un diagnostic post mortem est enfin avancé et une alerte émise à l’intention des apiculteurs voisins. Faut-il attendre l’apparition des symptômes ou la mort des colonies pour se prononcer sur l’origine de ces difficultés ?

La notion de portage

Après consultation de nombreuses publications, nous avons acquis la conviction que de nombreux pathogènes sont présents chez des abeilles en bonne forme apparente tout en créant les conditions d’un équilibre fragile capable de s’effondrer à tout moment. Les faits sont abondamment décrits mais jamais évalués en terme de risques par des experts cliniciens responsables de la santé des abeilles.

— Nosema ceranae

Contrairement à Nosema apis synonyme de diarrhée de fin d’hiver, Nosema ceranae crée de lourds préjudices tout en restant discret sur les symptômes pendant la saison apicole. En été ce parasite intestinal monocellulaire, dépourvu de mitochondries, spolie le métabolisme énergétique de son hôte provoquant une baisse d’efficacité des nourrices et des butineuses.

Toutes les activités de la colonie sont pénalisées sans que de véritables anomalies soient constatées. En revanche en hiver, du fait d’une charge plus importante du parasite sur des abeilles plus âgées, les troubles sont plus marqués. En particulier la “faim de sucre” crée pour Nosema ceranae oblige l’abeille à quitter la ruche en quête de sucre et de butinage. Malheureusement les sorties hivernales sont rarement suivies de retours à la ruche et il est classique de constater à la visite de printemps des ruches vides de leurs abeilles mais pleines de leurs réserves. (Réf.biblio. 1 à 16)

Les symptômes imputables à Nosema ceranae restent discrets pendant la saison apicole et se limitent à une baisse sensible de rendement alors que les effets délétères sont déjà importants. En hiver, et surtout en fin d’hiver, l’évolution s’avère beaucoup plus intense et beaucoup plus rapide surtout en présence de virus ou de pesticides pour aboutir à la disparition de la colonie.

— Les virus

Parasites intracellulaires obligatoires les virus ne cessent d’augmenter en permanence dans leur diversité et dans l’importance de leurs effectifs. Par définition, un virus après pénétration cellulaire chez son hôte détourne la “machinerie cellulaire” de ce dernier pour construire ses propres éléments constitutifs, capsule et matériel génétique. L’hôte peut ainsi perdre ou modifier certaines de ses fonctions au profil de la multiplication virale. Ces derniers envahissent la plupart des tissus de l’abeille et les conséquences sont très variées : diminution voire interruption de la ponte de la reine par nécrose ovarienne, troubles du comportement avec passage anticipé des abeilles nourrices en abeilles butineuses du fait de la localisation cérébrale du virus et d’une manière générale altérations profondes des gènes de l’immunité, de gestion du stress oxydant ou de détoxification.

L’importance des populations de virus est la conséquence du rôle dans leur multiplication et leur inoculation par Varroa destructor mais également la conséquence du commerce mondial des abeilles vivantes sans qu’aucune règle sanitaire n’ait été proposée pour encadrer ce négoce planétaire. Ajoutons à cela la transmission verticale et la transmission horizontale des virus et l’on comprendra mieux qu’à chacun des contrôles effectués sur des abeilles en apparente bonne santé, nous soyons confrontés à 5 à 10 virus différents, chacun à des effectifs élevés voire très élevés.

Que dire de l’efficacité de la sélection lorsqu’elle s’opère sur des abeilles “polyhandicapées” ? Des résultats expérimentaux lorsque le “statut viral” des abeilles impliquées n’est pas connu ? De la courte durée de vie des reines ? De la mauvaise réputation des “essaims du commerce” ? (Réf.biblio. 17 à 40)

— Peut-on identifier et quantifier les pathogènes présents chez des “abeilles sans symptômes” ?

Toutes les publications consultées font état des effets délétères des pathogènes évoqués et toutes insistent sur l’absence de symptômes. Un kit diagnostic (PathoBee) a été retenu pour identifier et quantifier par RT-PCR en temps réel les pathogènes présents sur abeilles vivantes.

Le kit PathoBee contient les amorces suivantes : Nosema apis, Nosema ceranae, Paenibacillus larvae et les virus ABPV, BQCV, CBPV, DWV-A, DWV-B, KBV, SBV, SBPV. L’ajout de Crithidia mellificae, Bombus terrestris et Ascophera apis est envisagé.

Les échantillons reçus au laboratoire font état des prévalences suivantes : Nosema apis = 15%, Nosema ceranae = 85%, DWV-B = 85% DWV-A = 15%, BQCV = 80%, SBV = 40%, SBPV = 20%, CBPV = 60%, ABPV = 10%, KBV = très variable.

Par commodité d’usage, les résultats des analyses sont exprimés en cycles thermiques selon l’échelle suivante :

Ct de 32 à 42 = présence constatée du pathogène mais effectif peu préoccupant, vert,
Ct de 22 à 32 = présence à risque, situation à surveiller attentivement, orange,
Ct de 10 à 22 = présence à haut risque, morbidité et mortalité possibles, rouge.

Les résultats sont présentés avec le code couleur indiqué, chaque cycle thermique correspondant à un nombre de particules virales présentes par abeille.

Pourquoi autant de pathogènes présents ?

Varroa destructor exerce un rôle déterminant sur la multiplication de certains virus (surtout DWV-A et B) et la transmission par inoculation à toutes les composantes d’une colonie (sauf la reine ?). Il suffit de 100 particules virales pour contaminer une abeille par inoculation alors que 1 000 à 100 000 fois plus sont nécessaires par voie buccale.

La transmission verticale est également redoutable puisque ovocytes et spermatozoïdes sont contaminés dans leur intimité mais également à leur surface par voie vénérienne.

La transmission horizontale n’est pas en reste, par trophallaxie mais aussi par fréquentation des mêmes aires de butinage. Ainsi pour ces dernières de généreux échanges de pathogènes existent entre Apis et Bombus, entre Apis et Osmies, entre abeilles domestiques et abeilles sauvages … . On constate une égalisation des portages, en nature et pas nécessairement en intensité, en fin de saison pour des abeilles ayant cohabité pendant toute une saison apicole.

Pour ce que nous avons pu constater jusqu’alors, il apparaît qu’un prélèvement en fin de saison sur une colonie un peu faible peut suffire à représenter l’essentiel du portage des pathogènes pour le rucher dont elle est issue.

Cette transmission horizontale sur les aires de butinage, par échanges avec les abeilles sauvages, conduit à une augmentation du portage de pathogènes pendant la saison apicole et rend obligatoire une intervention pour réduire ce portage, sur le même modèle que l’intervention en fin d’été sur les populations de varroas. Année après année “la décontamination” devient moins conséquente mais demeure néanmoins indispensable.

L’introduction d’abeilles vivantes sans contrôle sanitaire préalable conduit à l’accumulation des pathogènes de chaque cheptel. Les virus s’accumulent à chaque nouvelle introduction et une pratique apicole reposant sur l’achat chaque année d’essaims ou de reines ne peut être qu’une pratique à haut risque. Il n’existe aucun exemple d’élevage où l’introduction de nouveaux individus ne soit pas accompagnée d’un contrôle sanitaire. L’apiculture n’est-elle pas un élevage ?

Stratégie possible face au portage des pathogènes

La pathologie comparée permet de décrire les modalités de défense de chaque espèce animale ou végétale face à un pathogène ainsi que les conséquences de cet affrontement. L’étude comparative de ces phénomènes permet de mettre en évidence des mécanismes communs dont on peut imaginer qu’ils sont efficaces car présents dans tout le monde vivant. Il s’agit en particulier des modalités de gestion du premier contact d’un individu vivant avec un pathogène : ce premier contact est très déterminant par sa précocité et par son intensité. Il porte un coup fatal au pathogène mais il s’accompagne le plus souvent d’effets secondaires très préjudiciables et très délétères pour les tissus où se situe le pathogène. Ces mécanismes sont décrits avec une très grande précision, parfois avec des phases qui ne durent que 1/10 000ème de seconde, chez les mammifères et chez les oiseaux.

Nous avons depuis une bonne vingtaine d’années une expérience éprouvée chez les mammifères et les indications, bien qu’encore très imprécises chez les abeilles, suggèrent que des mécanismes de même nature existent.

Nous avons fait le pari qu’une gestion clinique du portage des pathogènes chez l’abeille pouvait s’inspirer de l’expérience acquise chez les mammifères. Pari gagné puisque l’abeille répond sans aucune restriction au soutien de son immunité innée individuelle telle que nous l’avions envisagé.

Ce que nous nommons soutien de l’immunité ne signifie pas stimulation de l’immunité mais modération de ses effets secondaires. Les oligo-éléments utilisés selon un protocole très spécifique permettent la mise en place de systèmes enzymatiques antioxydants et modérateurs des effets secondaires de l’immunité innée. Les oligo-éléments et les antioxydants naturels (métabolisme secondaire des végétaux) contenus dans les pollens devraient jouer ce rôle de modérateur à condition d’être variés et abondants. Nous retrouvons ici les recommandations habituelles de pollens polyfloraux.

Cette démarche clinique inhabituelle en apiculture ne peut être assimilée à une recette mais doit être comprise comme une application clinique des grandes lois de la biologie fondamentale et des mécanismes de défense contre les pathogènes.

Enfin il n’existe aucun risque de résistances aux solutions cliniques proposées car il ne s’agit ni d’antiparasitaires, ni d’antibactériens, ni d’antiviraux mais d’un simple accompagnement des immunités antiparasitaire, antibactérienne, antivirale.

Diagnostic, pronostic, prise en charge :  rigueur et simplicité de la démarche clinique

Si les explications sur l’approche clinique de la mortalité des colonies peuvent paraître complexe, en réalité la démarche diagnostic et les corrections sont très simples à mettre en place.

Le diagnostic s’effectue à partir d’un prélèvement sur une cinquantaines abeilles vivantes appartenant à une ruche représentative de l’état sanitaire moyen du rucher (colonie un peu faible présente depuis le début de la saison apicole). Pour réaliser et envoyer le prélèvement suivre scrupuleusement les indications figurant dans le kit PathoBee. La séquence analytique est une étape incontournable de la démarche clinique.

Le pronostic est établi à partir du résultat de l’analyse, des commémoratifs fournis par l’apiculteur et de l’expérience des spécialistes apicoles sur l’usage de Bee’Full Plus.

La prise en charge s’effectue par l’indication d’une démarche personnalisée dans la distribution de Bee’Full Plus, accompagnée de conseils dans les pratiques apicoles, des recommandations sont suggérées pour les saisons suivantes.

Un accompagnement de l’apiculteur nous paraît indispensable pour assurer le succès de cette approche de la santé de l’abeille.

Conclusion

L’accès à des moyens analytiques performants pour identifier et quantifier le portage des pathogènes sur des abeilles en apparente bonne santé permet de poser un diagnostic jamais évoqué jusqu’alors. Un pronostic fiable devient enfin possible quant au risque d’effondrement des colonies et un aliment complémentaire permet d’éviter ce risque.

Une rigueur est nécessaire à chacune des étapes de cette démarche clinique et il est important de rappeler qu’elle vient compléter une gestion rigoureuse des populations de Varroa destructor.

 

 

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