AbeillesJean Dotter et Grard MicloDans la pléthore d’informations qui circulent actuellement sur les abeilles, il n’est pas facile de se faire une opinion juste. Le public nous demande souvent de façon plus ou moins inquiète « Comment vont vos abeilles? », Question à laquelle l’apiculteur a parfois du mal à répondre et qui en cache une autre:« l’environnement naturel et notamment les pratiques agricoles et la réglementation évoluent-elles défavorablement à l’égard des abeilles? », C’est à cette dernière question que je vais essayer de répondre dans la mesure de mes modestes moyens, Le mieux pour la compréhension est de dresser un inventaire des mesures prises récemment à l’égard de l’agriculture mais qui impactent aussi notre environnement et éventuellement nos abeilles :

– La directive zone vulnérable : cette mesure classe par exemple la Seine-Maritime de la sorte et oblige à mettre en place des couverts hivernaux dès 2012 sur toutes les terres laissées habituellement nues en hiver, C’est ainsi que l’on voit fleurir des champs de moutarde dès le mois d’octobre, Les agriculteurs trouvent que la réglementation va trop loin car l’implantation, voire l’intérêt de ces couverts n’est pas évident surtout sur des récoltes tardives, Pour l’apiculteur, le bénéfice n’est pas évident chez nous à cause de la floraison tardive de ces couverts. Par contre il n’est pas exclu que certains couverts ne fleurissent qu’au printemps.

– Les bandes tampons le long des cours d’eau : cette règle n’est pas nouvelle, elle date de 2007 mais elle a été redéfinie en 2010 et vise à protéger la qualité des cours d’eau. Elle précise qu’une bande de terre non cultivée d’au moins 5 mètres de large doit être implantée le long de tout cours d’eau répertorié sur les cartes au 1/25 000 (en plein ou en pointillé). cette règle précise que le sol doit être couvert. Le pâturage et le fauchage sont autorisés mais pas les traitements phytosanitaires. Les espèces autochtones sont autorisées dont les légumineuses mais pas en culture pure.

– Le plan écophyto 2018 (dans le cadre du Grenelle de l’environnement) : il prévoit que d’ici 2018, il Y ait réduction (si possible de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires, Je peux dire que pour le blé, on sait faire mais il faut que l’agriculteur accepte entre 5 et 10 % de rendement en moins qu’il va compenser en bonne partie par des charges et du travail en moins, Par contre, le négociant perd sur la collecte et sur la vente des produits. Autant dire que la résistance à cette mesure va être forte, même si L’état met des moyens actuellement pour créer un réseau de fermes de références.

– La réglementation sur le maintien des particularités topographiques: les éléments topographiques sont des surfaces non cultivées au peu intensifiées qui sont des éléments du paysage comme les haies, les vergers haute tige, les mares et leurs abords, les fossés, les prairies humides ou classées Natura 2000, et les jachères dont les jachères mellifères auxquelles est attribué un coefficient de 2. Autrement dit 1 ha de jachère mellifère équivaut à 2 ha de Surface Equivalente Topographique (SET). La réglementation prévoit que ces SET représentent 1 % de la surface agricole utile en 2010, 3 % en 2011 et 5 % en 2012. Pour les apiculteurs, cela peut paraître intéressant car ces surfaces constituent souvent la base de l’alimentation de nos abeilles. Pourtant, il ne faudrait pas croire qu’elles vont être multipliées par 5 en 2 ans. En effet, la Seine-Maritime est un département où ces surfaces sont déjà bien présentes naturellement. Bien que n’ayant pas de statistique précise, il semble que peu d’exploitations agricoles soient effectivement touchées même par le taux de 5 % de SET. Peut-être un peu dans certains secteurs du Pays de Caux, et encore. La Beauce, par contre serait assez concernée. Précisons aussi que cette mesure remplace celle sur le gel obligatoire abandonnée en 2008.

– La certification phytosanitaire: c’est une mesure qui prévoit que tous les agriculteurs reçoivent, d’ici 2014 une formation pour les sensibiliser d’une part aux risques et aux moyens de protection et de préservation de l’environnement dans l’utilisation des produits phytosanitaires, d’autre part pour leur montrer qu’il existe des moyens de réduire leur consommation d’intrants, Un dispositif parallèle concerne tout le secteur de la prescription avec, en principe, obligation de distinguer les structures de vente et de conseil. Avec tout le personnel du conseil et de la distribution en plus des agriculteurs, c’est presque un million de personnes qui vont recevoir une [petite) formation complémentaire, Il y peut y avoir un impact de ces mesures à moyen terme, mais ne nous leurrons pas, c’est surtout dans la formation des jeunes que les répercussions peuvent être importantes. Or sur ce point, je constate et ne suis sans doute pas le seul, que beaucoup de jeunes, et notamment de jeunes techniciens de l’agriculture, sont déjà très sensibilisés à la protection de l’environnement. Le mouvement va se poursuivre, c’est certain, mais les choses bougeront lentement, presque imperceptiblement pour le grand public.

Ces mesures réglementaires partent d’une intention manifeste d’améliorer la situation dans le sens d’une meilleure prise en compte des préoccupations environnementales. Amélioreront-elles les choses vis-à-vis de l’abeille? Les apiculteurs n’en sont pas convaincus car ces mesures sont très générales et visent d’abord la protection des eaux et du cadre de vie. Mais il existe aussi des points d’achoppement qui cristallisent encore le mécontentement des apiculteurs. Malgré quelques restrictions (provisoires) sur l’utilisation du Gaucho et Regent sur maïs et tournesol, l’administration continue d’autoriser des produits ou des pratiques jugés dangereux pour les abeilles.

Au niveau des produits, c’est le cas du Cruiser, insecticide de traitement de semences autorisé sur maïs et petit cousin des précédents, ou du Proteus, insecticide reconnu dangereux pour les abeilles et autorisé sur des insectes parasites du colza, notamment le charançon des siliques qui se développe à partir de la floraison. En même temps, il y a eu le retrait de produits mal aimés des apiculteurs comme l’endosulfan. le lindane et pas mal d’autres. Il y a aussi pour le Cruiser l’obligation de mettre des déflecteurs à air sur les semoirs pneumatiques pour éviter le rejet de poussières très toxiques pour les abeilles. Sachons donc reconnaître les avancées même si tout ne nous paraît pas toujours aller dans le bon sens.