Résultats et discussion : Comme il était attendu en raison de leurs différences génétiques, les colonies d’abeilles évaluées dans cette étude présentent une productivité, une agressivité et un poids différent. De même, leur taux d’infestation par le varroa, leur taux d’infection virale par le DWV et leur taux de contamination par P. larvae diffèrent. Les colonies étudiées expriment les transcrits des facteurs de l’immunité à des niveaux significativement différents les uns des autres. Au contraire, cette expression est homogène au sein d’une même colonie. L’ensemble de ces données constitue donc une base permettant la recherche de corrélations entre les différents paramètres mesurés au sein d’une colonie. Ainsi, cette étude a permis d’établir plusieurs corrélations entre la masse corporelle des abeilles et (i) les taux d’expression du gène de la vitellogénine, une protéine de réserve, (ii) les activités de la glucose déshydrogénase et du lysozyme, enzymes impliquées dans l’immunité individuelle et (iii) l’activité enzymatique de glucose oxydase qui a un rôle dans l’asepsie du miel. Les corrélations les plus significatives sont présentées dans le tableau 1.

Facteur 1 Facteur 2 Corrélation Significativité
Taux d’infestation (couvain) Taux d’infestation (adultes) + *
Masse corporelle Vitellogénine + ***
Masse corporelle Act glucose déshydrogénase ***
Masse corporelle Act Lysozyme + ***
Masse corporelle Act Glucose oxydase + ***
Activité antibactérienne Taux d’infestation (couvain) **
Activité antibactérienne Act phénol oxydase + ***

Tableau 1 : Nature des corrélations entre différents facteurs mesurés. Par exemple, plus l’abeille a une masse importante plus elle exprime de vitellogénine.*p0.05;**p0.01;***p0.001.

En conclusion, cette étude a permis de montrer qu’au sein d’un même rucher il existait une certaine homogénéité du statut immunitaire des abeilles appartenant à une même colonie alors qu’au contraire de grandes différences existaient entres ces colonies. Ces résultats sont en accord avec les observations faites par d’autres équipes et posent la question de l’implication de ces différences dans la santé de ces colonies en particulier ici en lien avec la varroase (Gregory et al., 2005 ; Yang et Cox- Foster, 2007). Cette étude révèle ainsi l’existence d’un lien entre les taux de varroase des différentes colonies et les compétences immunitaires de ses abeilles contre un bacille de la famille des Entérobactéries. Cette activité antibactérienne est en partie portée par celle de la phénol oxydase, une enzyme impliquée dans la coagulation et le stress oxydatif. Cette étude semble donc indiquer que le stress oxydatif pourrait jouer un rôle dans l’interaction Varroa-abeille comme c’est le cas par exemple dans la relation tique-mammifère au cours de la primo-infestation par les tiques de la famille des Ixodidae, qui comme Varroa et contrairement aux Argasidae, parasitent leurs hôtes pendant plusieurs jours (voir la revue de Francischetti et al., 2009). L’étude in vitro de la sensibilité de Varroa aux composés oxydatifs ingérés au cours de la parasitose de l’abeille permettrait de vérifier cette hypothèse.
La lutte contre la varroase est actuellement basée sur le traitement des ruches à l’aide d’acaricides. Mais ceux-ci sont à l’origine de résistances et sont par ailleurs toxiques pour l’abeille et le consommateur. Le rapport Saddier, remis au Premier ministre en octobre 2008 a clairement indiqué dans un chapitre spécifique l’urgence de développer de nouvelles stratégies pour lutter efficacement contre la varroase.
Nous sommes certains que l’étude de l’immunité anti-Varroa serait d’un grand intérêt dans le cadre d’une stratégie visant à développer de nouveaux moyens de lutte contre la varroase et notamment un complément alimentaire basé sur les défenses naturelles de l’abeille. Ce procédé constituerait une alternative à la lutte chimique et présenterait l’avantage d’être naturel, de ne pas appauvrir la diversité génétique du cheptel existant et de ne pas créer d’OGM comme le nécessiteraient respectivement la sélection de colonies naturellement hygiéniques et la mise au point d’abeilles transgéniques hygiéniques.

Remerciements : Nous tenons tout particulièrement à remercier l’Association du Conservatoire de l’Abeille Noire Bretonne (île d’Ouessant) et John Keffus du Rucher d’Oc. Nous tenons également à remercier chaleureusement les Drs Marc- Edouard Colin et Bertille Provost, Chargé de recherche HDR et Ingénieur de recherche du Laboratoire de pathovigilance et de développement apicole SupAgro (Montpellier) pour leur aide technique ; et Roland Martinand-Lurin administrateur du Syndicat National d’Apiculture pour son soutien et ses conseils. Enfin, nous tenons à remercier la ville d’Albi et la région Midi- Pyrénées qui ont financé une partie de cette étude.
Ecrit par Angélique Vetillard1, Cyril Vidau1, Maria Bolt2 et Jérémy Tabart1.
Contact : email : angelique.vetillard@univ-jfc.fr Tel : 0563486440
1 Laboratoire Venins et Activités biologiques, EA 4357, PRESUniversité de Toulouse, Centre Universitaire Jean François Champollion, Albi, France. 2 Rucher Bolt, France.

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