Que demandent les apiculteurs ?
Les apiculteurs demandent que les voies d’expositions réelles de l’abeille aux insecticides en traitement de semences soient prises en considération par l’évaluation future.
1. Lorsque les substances sont présentes dans le nectar et le pollen, l’abeille est contaminée par des prises répétées durant toute la floraison de la plante. Il est donc nécessaire d’établir la mortalité chronique des abeilles et non plus seulement la mortalité aiguë.
2. La concentration mortelle pour l’abeille en exposition chronique doit être comparée aux quantités réellement consommées par l’abeille ; celles-ci doivent être établies en considérant le « worst cases » (c’est à dire le cas où l’exposition est la plus importante, comme sur les grandes miellées, tournesol par exemple), comme il est de règle dans les études écotoxicologiques.
3. Lorsque l’exposition de l’abeille est différée, les tests doivent pouvoir prendre en compte le moment de consommation réelle du produit contaminé par les abeilles ; la durée des tests doit être prévue en conséquence.
4. Lorsque l’abeille est susceptible d’être contaminée progressivement, par prélèvements répétés, il peut se produire des effets qui, tout en laissant l’abeille en vie (effets sublétaux), en modifient le comportement de telle sorte qu’elle n’est plus à même de remplir son rôle au sein de la ruche (non retour à la ruche, incapacité de butinage…). Les effets sublétaux doivent faire l’objet de tests adéquats.
5. Toutes les catégories d’abeilles sont potentiellement concernées par les pesticides systémiques dès lors qu’ils sont présents dans le nectar et le pollen. Nous demandons que des essais particuliers soient effectués, notamment sur les larves, les reines1, les nourrices et les abeilles d’hiver.
6. Nous demandons que les effets sur l’abeille des synergies entre les molécules précitées soient évalués dans le cadre des dossiers d’évaluation.
7. Nous demandons que des études soient conduites, sur les effets qu’ont les contaminants sur le système immunitaire de l’abeille.
8. Nous demandons que les études présentées dans les dossiers fassent l’objet d’une validation statistique, et que des canevas d’observation viennent préciser les éléments comportementaux de l’abeille qui doivent faire l’objet d’un suivi.
9. Nous demandons que les effets de l’exposition de l’abeille par les poussières de semis et par l’exsudation fassent partie de l’évaluation de la substance active au niveau européen.
Enfin, il faut savoir que les études scientifiques sont actuellement conduites, soit par les firmes elles-mêmes, soit par leurs sous-traitants. La qualité des laboratoires n’est pas en cause, mais il n’est pas normal que les études soient présentées par le seul demandeur, sans que l’autorité ne vérifie, par exemple, si toutes les études réalisées figurent bien au rapport. Nous demandons donc aux autorités nationales et européennes de se doter de l’expertise nécessaire à l’évaluation des études présentées dans les dossiers, et de vérifier les résultats présentés en recoupant, de façon aléatoire, un certain nombre des études présentées dans les dossiers (réalisation à la demande de l’autorité publique par un laboratoire homologué à cette fin).
La question de l’expertise est centrale. L’Europe (en fait, la DG Santé- Consommateurs de la Commission) a délégué à l’EPPO (Organisation européenne et méditerranéenne de la protection des plantes) la réalisation des lignes guides qui, traduites dans les annexes du future règlement, vont définir la teneur des évaluations futures. L’EPPO est elle-même en carence d’expertise interne « abeilles » et a délégué cette mission à l’ICPBR, coupole scientifique qui a constitué des groupes de travail sur la matière. Les firmes phytos sont largement représentées dans ces groupes de travail et ont la présidence de deux d’entre eux… Il n’est pas normal que les règles soient faites par ceux-là même à qui elles sont censées s’appliquer !

Janine Kievitz,
Chargée de Mission Coordination Apicole Européenne

1 – En ce compris le renouvellement de celles-ci dans les colonies, problème particulièrement aigu cette année pour les éleveurs